En ce moment, je lis le fameux roman Soumission, de Michel Houellebecq. J'ai toujours beaucoup aimé Houellebecq, qui est, à mes yeux, un des derniers - si ce n'est le dernier - grand génie de la littérature française encore vivant.
Pour faire bref, ce roman parle d'un jeune homme, François, professeur de lettres modernes à La Sorbonne - Paris III, âgé de la quarantaine, qui vit une vie très banale pour un Occidental du XXIème siècle. C'est justement là-dessus que l'oeuvre de Houellebecq est intéressante : la vie de François est une quête de sens permanente. Ainsi, il ne sait plus trop pourquoi il vit. Sa vie est une solitude permanente, qu'il comble parfois par de brèves relations sexuelles avec ses étudiantes, ses soirées dans le XIIIème arrondissement de Paris se passent toutes dans son appartement, où il reste seul, à boire quelques verres de vin, à regarder des émissions de télé-réalité, à traîner sur Internet, à manger des plats réchauffés au micro-onde, à se branler sur YouPorn, ou à écrire des articles de littérature pour la revue littéraire Les Dix-Neuvitièmes.
C'est durant les élections présidentielles de 2022 que tout bascule. Réélu en 2017 face au Front National, François Hollande réalise un second quinquennat tout aussi miteux que le premier. En mai 2022, la Fraternité musulmane, un nouveau parti politique de doctrine essentiellement musulmane, se qualifie au second tour de l'élection présidentielle, talonnant de très près le Parti Socialiste, mais restant loin derrière le Front National, alors premier parti de France. Face à cela, François, le héros, ne sait pas exactement comme réagir. La fille dont il est amoureux, Myriam, est juive et craint cette situation, donc elle suit sa famille qui décide de partir vivre en Israël. Mais lui, il ne voit pas trop ce que ça va changer. A ses yeux, la politique, c'est un truc très lointain, une sorte de spectacle médiatique qui n'influence pas, ou alors très peu, le quotidien des individus.
La Fraternité musulmane, dirigée par Ben Abbes, n'est pas un parti islamiste de tendance extrémiste. Leur prérogative principale est l'Education nationale et l'Enseignement supérieur, et leur principal désir est de normaliser l'éducation islamique en France. Du reste, ils sont prêts à céder les autres ministères clefs aux partis plus traditionnels. François, en tant que professeur à l'Université, se retrouve donc confronté à l'élection de ce candidat qui, s'il est loin, très loin d'être ce que l'on appelle communément un "extrémiste", met en place des changements radicaux.
Ce roman n'est pas du tout le livre islamophobe que l'on pourrait penser. A sa lecture, j'aurais même davantage tendance à dire qu'il est presque même islamophile. La religion musulmane, comme elle est décrite tout au long de l'intrigue, est montrée comme une religion douce qui, si elle comporte de nombreux aspects traditionnels assez peu en adéquation avec nos sociétés occidentales contemporaines, reste un support en terme de valeurs, et reste un repère identitaire très viable, dans une société qui part à la dérive, dans une quête de sens de plus en plus profonde. Et au final, ces aspects traditionnels qui ne correspondent pas tout à fait à nos sociétés sont montrés de façon globalement positifs. Après tout, qu'est-ce que c'est, la prétendue "libération de la femme" ? Une femme qui se lève le matin, doit se faire sexy pour correspondre aux standards que l'on attend d'elle, déposer ses gamins à la crèche, bosser à n'en plus finir toute la journée, puis rentrer, épuisée, récupérer ses enfants, se disputer avec son mari, et probablement divorcer au bout d'un certain temps ; voilà comment l'auteur présente magnifiquement bien, à mon sens, la réalité très sombre qui se drape derrière les discours féministes les plus radicaux.
A l'inverse, le patriarcat tel que Houellebecq le décrit, s'il n'est pas non plus un paradis terrestre, a le mérite de permettre à la famille d'exister, aux femmes de s'épanouir, certes pas de la même façon que les hommes, mais de s'épanouir tout de même. Les relations, elles, sont plus humaines, plus chaleureuses, les foyers renaissent, l'individualisme s'estompe pour laisser place à la conscience du collectif, la conscience, en effet, qu'il y a quelqu'un au-delà de soi. Le projet de la Fraternité musulmane, en définitive, n'est pas un énième projet politicien qui parodie ce pour quoi a été conçue la magistrature suprême, non, c'est un projet révolutionnaire pour son époque : celui de recréer une société chaleureuse et humaine.